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Créer son corridor pour se défaire des injonctions masculines

Dernière mise à jour : il y a 7 heures

Avec Florence Trouche, Directrice Publicité de Netflix


Dans ce nouvel épisode du Pouvoir au Féminin, je reçois Florence Trouche, actuellement directrice publicité chez Netflix. Florence a eu une carrière à dimension internationale dans la tech, un milieu où les femmes sont encore peu nombreuses. Elle a remporté le prix Digital Neoma Alumni en 2021 et elle est très impliquée auprès de l'association Force Femmes.


En cherchant un peu dans les méandres d'Internet. j’ai découvert une femme qui n'a peur ni de prendre la parole, ni de dire les choses comme elles sont, et ce, depuis le début de sa carrière. Florence assume son ambition, revendique sa liberté économique et n’hésite pas à rappeler que ce n’est pas parce qu’elle y est arrivée que c’est toujours évident pour les femmes aujourd’hui (surtout dans l’univers du digital).


Dans cet épisode, elle nous partage son expérience et surtout des clés pour trouver sa place dans le monde de l’entreprise sans forcément adopter une position masculine.



Se défaire des injonctions masculines

Photo de Claire-Marie Régent - https://www.clairemarieregent.com/



Le piège d’être perçue et traitée comme un homme en entreprise


Pour beaucoup de femmes qui évoluent à des postes de direction ou dans un secteur d’activité majoritairement masculin, la tentation est grande de se comporter comme un homme… pour être traitée comme un homme. Il s’agit d’un biais interne très structurant et dont il est difficile de se défaire.


D’autant plus que ce biais peut être créé par les hommes (ou plus largement par notre environnement) comme par nous-même. C’est ce que nous expliquait déjà Valérie Ogier dans un précédent épisode en évoquant le plafond de verre.


Ce dernier, comme le soupçon de sorcellerie pour les femmes dans la médecine ou de bicycle face pour les premières cyclistes, est utilisé pour nous tenir à l’écart. Ou en tout cas pour placer des obstacles sur notre chemin vers l’épanouissement professionnel.



S’imposer dans un milieu masculin comme la tech


Pour trouver sa place, on peut donc chercher à agir comme un homme : être plus franche et directe (même si ces qualités ne sont pas l'apanage des hommes). C’est particulièrement vrai dans le monde de la tech, où les hommes sont historiquement sur-représentés. En France, les femmes ne représentent que 34 % des effectifs en écoles d'intérieur alors qu’elles sont pourtant à part égale dans les bacs scientifiques.


Heureusement, beaucoup d'entreprises luttent aujourd’hui activement pour une meilleure représentativité. Elles ne le font pas forcément pour des questions éthiques, mais tout simplement car une entreprise qui veut vendre un maximum de produits ou services doit être à l’image du marché auquel elle s’adresse. Et pour cela, elle doit supprimer au maximum ses biais de genre (notamment en s’imposant des quotas, qui permettent d’accélérer les changements).


Dans ses premiers postes, et pour ne plus se voir demander de servir le café, Florence a donc commencé à porter des talons de 15, des costumes noir et les cheveux courts. Mais c’est quand une jeune collaboratrice lui a dit qu’elle ne voudrait pas lui ressembler qu’elle a eu le déclic.


“Que cette jeune femme me dise : Tu n'es pas un modèle pour moi, ça a été une espèce de choc. Ce que j'exprimais pour elle, c’était quelqu'un de très froid, très dur, qui traçait. Je donnais la représentation d'une femme qui, pour y arriver, prenait tous les attributs des hommes. Parce que quelque part, je le sais, je voulais faire partie du club.”.

En se défaisant de cette injonction, les femmes peuvent non seulement retrouver plus de liberté (de s’habiller et de se comporter de manière plus alignée avec leur personnalité). Mais elles sont aussi mieux placées pour comprendre les différences au sein de leur équipe et accepter leurs collaborateurs tels qu’ils sont.



Adopter un management tolérant et inclusif

Une qualité jugée comme plus féminine, comme l’empathie, peut aussi se révéler une force dans le management de ses équipes. Comprendre les différences de chacun permet en effet de réaliser qu’elles sont une véritable richesse.


“Par exemple, Netflix est une boîte qui revendique la culture d'équipe de sport plutôt que la culture de la famille. Et je trouve que cette logique de se dire qu'on contribue chacun avec ses propres talents est la meilleure façon de gagner, parce qu'on gagne en collectif.”

Se défaire de cette posture “masculine” peut ainsi être un bon moyen de rompre avec des modèles managériaux très top-down. Pour les femmes, c’est la possibilité de s’approprier des postes de direction de manière plus apaisée, sans questionner leur autorité ni chercher à reproduire les schémas classiques masculins. Mais c’est aussi une force pour attirer les jeunes talents qui préfèrent les entreprises qui jouent collectif.


C’est également un levier pour éviter la compétition en interne en créant un équilibre entre les compétences et forces de chacun.


“On a besoin de cet équilibre hyper important de gens qui sont dans le long terme et de ceux qui ont la capacité d’aller plus frontalement de l’avant. Personne n’a l’intégralité de ces qualités en elles. Donc j’ai toujours essayé de reconstituer un mouton à 5 pattes, mais à travers les membres de mon équipe”.


Être à l’écoute c’est savoir accompagner les personnes en fragilité et reconnaître celles toxiques


En tant que manager, on est amené à gérer des personnes en souffrance, qui utilisent leur environnement professionnel pour extérioriser des problèmes internes. Cela se manifestera généralement par des réactions extrêmes (ou à l’inverse par une absence de réaction).


Pour accompagner les personnes en souffrance, il est important d’être à l’écoute, de leur demander ce qui les empêchent de dormir en ce moment. Et même s’il est impossible de poser une frontière stricte entre pro et perso, il est crucial que ce dernier n’influe pas sur les interactions avec les autres membres de l’équipe.


Pour ce qui est de distinguer les collaborateurs toxiques, un bon moyen consiste à évaluer leur réaction aux feedbacks, ils seront réticents à toute optique de remise en question et de changement.


Le feedback est en effet la seule façon de progresser. Les seules personnes qui ne prennent pas les retours constructifs sont aussi celles qui arrivent beaucoup plus vite à leur seuil de compétences. Il est cependant important, en toute situation, de privilégier les feedbacks en 1 to 1 et non frontale pour s’assurer qu’ils puissent être bien reçus.



Se renouveler est important, même à un poste de direction


Pour Florence, quand on est salarié dirigeant, le poste ne nous appartient pas et on arrive parfois dans une routine qui peut être source d’ennui.


C’est quand on n’a plus la sensation de progresser et que l’on perd sa vitalité au travail qu’il est important de laisser sa place (et de ne pas s'y accrocher pour des questions de statut ou de confort).


Accompagner la transition reste clé pour une passation saine et sereine :


  • Choisir son départ et accompagner la passation.

  • Identifier très vite qui peut être notre successeur ;

  • Annoncer son départ quand on a un chemin de passation clair en tête ;

  • Transmettre ce qui est de l’ordre de l’empirique et de l'intuition


Créer son propre corridor et ne pas se faire piquer ses idées


Dans le monde de l'entreprise, les hommes ont leurs propres corridors dans lequel ils s'entraident et éliminent la compétition. Les femmes devraient faire la même chose.


“Moi, je pense que les femmes devraient créer leur propre corridor parce qu'on n'a pas encore inventé une société qui se gère et qui se pilote de façon totalement étale et décentralisée. Il y a pas mal d'études qui montrent que les sociétés qui sont pilotées par des femmes sont des sociétés où il y a plus de femmes au Comex. On a beaucoup plus tendance à favoriser la représentativité des sexes, donc favoriser l'entrée de femmes au Comex”.

Ce corridor féminin est donc essentiel pour accéder à des postes de direction. Mais aussi pour pouvoir s’approprier ses idées et inventions.

En effet, les femmes ont toujours été à l’origine de nouvelles inventions, en particulier dans le monde de la tech. On peut citer Ada Lovelace, qui a développé le premier programme informatique. Mais aussi Grace Hopper, à qui l’on doit le premier compilateur de logiciels et Hedy Lamarr qui est à l'origine du Bluetooth et du wifi. Créer ce corridor d’entre aide et de mise en valeur est une des voix pour en sortir.


Florence, qui s’est aussi vu ses idées être appropriées par des collègues masculins témoigne aussi de notre refus de tomber dans le cynisme et de nous habituer à des situations qui, même si elles peuvent être courantes, restent intolérables.


Si on ne peut empêcher le vol de nos idées, on peut néanmoins montrer que l’on refuse d’être manipulée en remettant “subtilement” à leur place les intéressés. Florence insinue par exemple qu’un projet qui a émergé collectivement (parce qu’elle a activement participé à sa formulation) a tout intérêt à être mis en place de manière collective, et ce en plein comité de direction, pour reprendre jugement sa place. Cela permet de sortir de l’état de sidération dans lequel on peut se trouver dans ce genre de situation, remettre les choses sur la table est primordiale.


Certaines entreprises mettent en place une culture de mise en avant systématique des personnes qui sont à l’origine de projet, en s’assurant que la personne à l’initiative est bien citée.



Ne rien lâcher


Même si la position des femmes dans le monde de l’entreprise a beaucoup évolué, il est important de se rappeler, comme le disait Simone de Beauvoir, qu’il suffira d’une guerre ou d’une crise pour que l’émancipation des femmes fasse marche arrière.


Florence veut donc transmettre son expérience pour encourager les femmes à ne rien lâcher. Aux futures directrices, elle rappelle donc que tout ce que l’on fait pour soi, on le fait pour les autres. La solidarité et l’entraide sont donc indispensables pour s’élever (ou s’épanouir lorsque l’on est pas à la recherche de pouvoir), mais aussi pour préserver son bien-être et sa santé mentale.


Son conseil pour les nouvelles générations de femmes est de ne pas oublier quand on trace sa route. Notre force est d’embarquer les autres et il est donc crucial d’écouter ceux qui ne sont pas comme nous pour faire de cette diversité une force. Elle invite aussi les directeurs à ne pas avoir peur des femmes.


Et pour arriver à une société dans laquelle hommes et femmes auront la même égalité d’agir, Florence nous invite à créer les conditions d’un point de départ commun. Et cela passera par la formation des nouveaux talents, mais aussi par l’accompagnement des organisations.


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