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Se sentir à sa place en incarnant le pouvoir de l’Etat

avec Maître Karine Matheron, commissaire de justice associée


Incarner le pouvoir de l’Etat, parfois répressif et perçu comme une potentielle violence, n’est pas une mince affaire. Mais ça l’est encore moins lorsque l’on est une femme (et ajoutons même une jeune femme). 


Même pour moi qui anime un podcast féministe, j’ai encore tendance à associer le métier de commissaire de justice (le nouveau nom donné aux huissiers de justice) aux hommes, de part la nature de la profession et les représentations (notamment dans les médias) qu’on nous en donne; 


C’est pour cette raison que j’avais envie d'entendre Maître Karine Matheron pour avoir sa vision de l’incarnation du pouvoir de l’Etat au féminin au travers de son parcours et de l'exercice de ses fonctions. Ensemble, nous avons d'ailleurs abordé le sujet sous l’angle de son rôle de commissaire de justice, mais aussi de cheffe d’entreprise puisqu’elle est associée. Nous avons aussi échangé sur son rapport à la maternité, en lien avec ses choix professionnels. 



Une commissaire de justice (anciennement huissier de justice) nous partage son expérience d’incarner le pouvoir étatique lorsque l’on est une femme et comment trouver sa place. Ministère de la justice


Trouver sa place en exerçant le pouvoir étatique


Si Karine a accepté de participer au podcast, c’est que le sujet du pouvoir au féminin, abordé sous l’angle professionnel, l’a interpellé. C’est en effet une composante centrale de sa carrière professionnelle, puisqu’en tant que commissaire de justice, elle exerce une partie du pouvoir étatique et donc un certain rapport de force (en pouvant entrer chez les gens, par exemple). 


Le métier d'huissier est ouvert aux femmes depuis 1948. En 2021, 70 % des diplômés étaient des femmes (elles étaient 65 % en 2019). On peut donc dire que le métier se féminise, notamment parce que les études sont plus longues. Néanmoins, on observe encore une large majorité d’hommes associés (les femmes étant plutôt salariées) et ce sont encore eux qui sont principalement médiatisés. 


Pour une femme, il peut donc être difficile de se positionner dans un rôle largement perçu comme masculin, mais aussi dans des situations complexes qui peuvent supposer une forme d’autorité, voire impliquer une certaine violence. 

“Quand je me retrouve un matin obligée de procéder à l'expulsion de quelqu'un dont la situation va me faire penser à ma propre vie personnelle, quelqu'un qui a des enfants, des problématiques, je trouve que c'est difficile. C'est aussi difficile de se positionner justement par rapport à ce pouvoir qu'on a entre les mains, d'arriver à trouver un bon positionnement en tant que femme. Ce n'est pas toujours facile d'arriver à se positionner face à un homme qui va avoir du mal à ce qu'une femme exerce cette profession”. 

C’est pourtant cette complexité face à des situations toujours différentes qui a attiré Karine vers ce métier. Le challenge à relever est celui d’agir de façon plus humaine, plus “douce” en exerçant une profession qui est rarement perçue comme telle alors même qu’elle est profondément sociale et peut parfois être le dernier lien entre certaines personnes et la société. 



Devenir associée et cheffe d’entreprise


Lorsqu’elle est devenue associée, Karine a aussi pris une nouvelle casquette de cheffe d’entreprise. Un changement qui pour beaucoup de femmes est vécu comme un aboutissement, une reconnaissance de leurs compétences. C’est aussi une nouvelle façon d’exercer son métier, avec de nouvelles tâches comme la gestion administrative, les ressources humaines, et beaucoup de responsabilités sur les épaules. 


En tant que cheffe d’entreprise, on est impliqué à 100 % et 100 % du temps, ce qui se traduit par une charge mentale nettement plus importante. D’un autre côté, la contrepartie est de pouvoir adopter le rythme qui nous convient le mieux et de pouvoir prendre ses propres décisions. Un changement qui correspondait plus aux aspirations de Karine et dans lequel elle se sent plus à l'aise. 

“J'ai l'impression d'être plus à ma place. C'est quelque chose qui me correspondait plus en fait. Je me sens bien dans mes baskets, là où je suis et ça me convient. Je ne pense pas que ça convienne à tout le monde, mais moi ça me convient. C'est toi qui mène ton propre bateau on va dire. Tu as la responsabilité de l'entreprise dans laquelle tu travailles et dans laquelle tu fais travailler des gens. C'est un peu un troisième bébé pour moi”

Contrairement à beaucoup d’hommes qui questionnent moins les compétences qu’ils possèdent pour assumer de telles responsabilités, Karine a attendu 15 ans avant de devenir associée, et donc cheffe d’entreprise. Une période pendant laquelle elle a appris le métier (en tant que salariée) et qui lui a permis d’avoir le recul et la maturité qu’elle jugeait nécessaire. 



A quoi s'attendre lorsque l’on attend un enfant 


La principale difficulté que Karine a rencontré dans sa carrière n’a pas été d’assumer le rôle de cheffe d’entreprise, mais de devoir annoncer sa maternité. Comme beaucoup de femmes, elle a été confrontée au dilemme de choisir le bon moment pour l’annoncer à ses supérieurs (dans une étude qu’elle venait tout juste de rejoindre). Plutôt que d’attendre la fin de sa période d’essai, elle a préféré faire preuve de transparence. Une transparence qui n’a pas été récompensée, puisqu’on lui a désigné la porte. 

“J'ai préféré leur dire en toute honnêteté rapidement pour qu'ils puissent du coup anticiper la chose. Et en fait, ils l'ont très mal pris et donc ils ont décidé de mettre fin à ma période d'essai. Ce qui est ressorti, c'est que ça allait poser problème parce que j'allais être fatiguée, j'allais être sûrement arrêtée et j'allais être absente, moins investie dans mon travail. Ils m'ont même convoquée du coup pour me dire que du coup ils ne souhaitaient pas me garder mais que par contre, éventuellement, je pourrais revenir après. “

Si elle a été marquée par cet épisode, Karine ne regrette pas son choix. Il lui a permis de savoir à qui elle avait à faire et de rejoindre une étude dans laquelle elle se sentait plus alignée avec les valeurs. Néanmoins, ce rejet (en plus d’être illégal lorsqu’il se fait hors de la période d’essai, un cadre dans lequel l’employeur n’a pas à fournir de raison) est vécu par de nombreuses femmes comme injuste et dévalorisant leur aptitude à continuer à travailler durant leur grossesse. 

“Je trouve qu'on associe trop dans notre société justement, la maternité à quelque chose de négatif dans le monde du travail. Et pour moi, ça n'a pas un impact négatif, au contraire. Moi je me dis que ça va apporter à cette personne quelque chose d'hyper positif qui va peut être avoir aussi derrière un impact positif sur son travail. Parce que je pense que quand on a des enfants, on est hyper motivé, on a envie de travailler bien et vite pour pouvoir les retrouver et être bien dans ses baskets et être bien dans son job.”


Cumuler la charge mentale parentale et patronale 


Même si elle était beaucoup plus à l’aise avec son associé lors de la seconde grossesse, Karine a tout de même angoissée à l’idée de la lui annoncer. Cette fois-ci, elle n’était plus salariée mais cheffe d’entreprise, ce qui ajoutait une charge mentale encore plus importante (le congé maternité en moins). Néanmoins, ce statut offre aussi des avantages en tant que mère, permettant de trouver un équilibre entre vie professionnelle et personnelle plus adapté à ses besoins. 

“Par contre, on ne va pas se cacher non plus qu'être cheffe d'entreprise, ça permet aussi d'adapter son emploi du temps, de pouvoir travailler le week-end ou le soir pendant les vacances quand on a pas pu être plus disponible avant. C'est une organisation qui est complètement différente et c'est pour ça que je disais que moi elle me convient mieux parce qu'effectivement elle m'a permis de gérer peut-être plus facilement ma vie personnelle, même si effectivement, parfois à l'inverse, j'ai des contraintes que n'aurait pas un salarié.”

Cette capacité à adapter son emploi du temps découle non seulement du statut de cheffe d’entreprise, mais aussi de la personnalité de la personne avec laquelle on est associée. Une répartition du travail et un pouvoir de décision égalitaires sont en effet indispensables pour mener sa structure (et sa vie) dans la direction qui nous convient. 



Changer notre vision du pouvoir


Pour arriver vers plus d’égalité hommes-femmes au travail, et permettre à ces dernières de se sentir à leur place même dans des postes qui gardent une image typiquement masculine, il est essentiel de changer précisément notre image du pouvoir. A ce niveau, le chemin à parcourir reste encore long. 

“J'avais rendez-vous avec un homme qui m'a demandé qui était les grands associés de mon cabinet, ce à quoi je lui ai répondu que c'était pas parce que j'étais une femme et peut être un peu trop jeune à ses yeux que je n'étais pas associée à égalité avec les autres à ce cabinet. Mais voilà, pour lui, il y avait forcément quelqu'un d'autre au-dessus de moi.”

En plus de souhaiter aux femmes de trouver leur place dans un métier comme celui de commissaire de justice, Karine souhaite aussi aux hommes de valoriser l’association avec des femmes. Ces dernières peuvent en effet apporter beaucoup à la profession, et même se révéler des atouts dans certaines situations où leur genre permettra de mieux comprendre et gérer la détresse des personnes sur lesquelles ce métier s’exerce. 


Pour y parvenir, ce sont nos mentalités que nous devons changer, et surtout les stéréotypes masculins liés au pouvoir. Plutôt que de le percevoir uniquement comme une force ou une forme d’autorité, le pouvoir au féminin est aussi une approche plus humaine et empathique. 




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