Le courage, de manière générale, est une qualité que l’on rattache assez naturellement aux hommes. Mais en management, force est de constater qu’il est beaucoup plus présent dans les parcours professionnels féminins. En partie peut-être car, de part les inégalités de genre qui persistent dans le monde de l’entreprise, les femmes sont plus souvent confrontées à des situations qui exigent d’elles qu’elles fassent preuve d’audace et de courage.
Ce fut le cas de Florence de Noray, VP finance & M&A Europe Continentale DCC Energy et DG du groupe Butagaz S.A. Après un parcours en tant que DAF depuis 2003 dans différents secteurs, elle a oeuvré longtemps au sein du Goupe Vivendi, est passée chez BrandAlley, Eugène Perma et PMU avant de rejoindre le groupe Butagaz. Avant cela, elle a aussi travaillé chez Bouygues, neuf années au début de sa carrière en contrôle de gestion/fiances et peut se targuer d’une expérience de 3 ans comme entrepreneur à San Francisco.
Florence a évolué dans un métier encore peu féminin et qui fait partie de ces postes tremplin vers PDG auxquels les femmes sont encore peu représentées puisqu'elles ne sont que 13 % dans le SBF 120 selon la dernière étude du BCG STAT de décembre 2024.
Ce qui m'a marqué dans son parcours, c'est que Florence a très vite été rattachée à la direction sur des projets d'envergure et est ensuite montée rapidement sur des postes de direction d'abord de contrôle de gestion, puis DAF, toujours avec une dimension internationale. Elle nous fait part ici de sa vision du leadership (qu’elle préfère à la notion, très 90’s selon elle, de pouvoir) ainsi que de l’importance du courage et de la loyauté en management.

Naviguer dans le grand bain de l’entreprise sans bouée
Comme beaucoup de femmes, Florence est allergique au mot pouvoir, qu’elle trouve très teintée d’une vision vieillotte de male blanc dominant. C’est en partie pour cela qu’elle ne se voyait d’abord pas dans un rôle de management. Elle y arrive pourtant très rapidement, dès ses 22 ans, suite à son emabuche après un stage de fin d’étude chez Bouygues dans le cadre duquel elle doit encadrer une personne qui a le double de son âge. Or malgré la complexité de sa position, c’est aussi grâce à ces expériences difficiles que l’on apprend le plus, et notamment des soft skills peu transmises dans l’enseignement.
Par la suite, Florence a évolué vers des postes de direction, dans des contextes complexes, comme une restructuration chez Vivendi. Elle doit donc très tôt endosser le rôle de bad guy et développer des compétences transversales pour embarquer ses équipes. Le tout avec peu d’expérience et aucun accompagnement de sa structure.
“À l'époque, on n'avait pas du tout de coaching. En début de carrière, je n'ai pas eu de mentor. Ce que je trouve génial dans les progrès aujourd'hui, c'est qu'on est très accompagnés, très aidés. Moi, ce fut direct le grand bain sans bouée, Donc j'ai fait comme je pouvais, j'ai fait beaucoup d'erreurs, mais j'ai aussi fait des choses que j'ai bien réussi.es Et puis ce qui marchait, je le refaisais et j'ai appris en marchant, sur le tas.”
Affronter la falaise de verre
Florence se lance d’autant plus volontiers à l’ascension de cette falaise de verre qu’elle n’en a pas conscience. Lorsque l’on est jeune, on manque d’expérience et de références pour mesurer les risques que peuvent représenter un poste ou les difficultés auxquelles on va devoir faire face. Un schéma que l’on observe encore beaucoup dans le monde de l’entreprise.
“Je me souviens d'un de mes boss qui m'a dit tu as tout d'une guerrière. Et c'est vrai que dans ma vie professionnelle comme dans ma vie personnelle, j'ai dû faire face à de gros défis, de grosses transformations. Et c’est vrai que j'aime bien les challenges costauds!”
L’importance du courage managérial
Mais comme beaucoup d'épreuves, celle de la falaise de verre, lorsqu’on arrive à la grimper, peut se révéler bénéfique. Elle permet de développer des soft skills très utiles en entreprise, et encore plus dans des rôles de leadership. Cette expérience permet non seulement de consolider ses compétences inter-personnelles, mais aussi d’apprendre à les déceler chez ses collaborateurs.
Plutôt que de se concentrer uniquement sur les qualités techniques (qui sont assez universellement acquises, en particulier à un certain niveau), Florence fait désormais en recrutement la différence sur la culture, les valeurs ou encore la personnalité des talents. Elle développe également un leadership qui laisse le droit à l’erreur.
“Je n'ai aucun souci avec le droit à l'erreur. Une fois, deux fois, trois fois mais quand la chose est répétée encore plus, là on peut quand même se poser des questions et donc j'émets des doutes. Et puis on voit ensemble comment est-ce que l'on peut faire pour que ça se remette en trajectoire. Bien, si ce n'est pas le cas, à un moment donné, faut dire les choses. Donc, et je pense alors vous allez me dire c'est facile de dire ça, mais je pense que c'est de notre responsabilité de manager, de leader que de dire à un collaborateur de vraiment lui dire la vérité en fait.”.
Mettre les gens devant la réalité (leur réalité au sein de l'entreprise, mais aussi leur réelle valeur sur le marché du travail par exemple) est ce que Florence qualifie de courage managérial. Le courage de dire la vérité, même lorsqu’elle peut être blessante, en mettant néanmoins les formes pour qu’elle soit la plus entendable possible. “On peut tout se dire mais gentiment”
C’est aussi le courage de montrer l’exemple et d’offrir un réel accompagnement à ses collaborateurs. Plutôt que de placer des attentes, pas toujours réalistes sur leur épaule, Florence prend le temps de les former, non pas uniquement sur leur hard skills, mais aussi sur leur comportement dans l’entreprise ou leur approche du management.
De la même manière que la valeur travail, qui paraît globalement plus intégrée et mise en pratique par les femmes, le courage managérial est aussi un effet secondaire des inégalités de genre en entreprise. Forcées d’en faire plus pour montrer qu’elles méritent leur place, ou placées dans des contextes professionnels compliqués que personne d’autre ne veut gérer, le courage n’est pas une qualité innée, mais plutôt une réponse naturelle à un environnement plus hostile.
L’égalité entre hommes et femmes au travail : une question de volonté
Si Florence réalise rapidement les inégalités de faits entre hommes et femmes au travail, elle n’en fait pas un combat pour autant. Plutôt que de chercher l’égalité à tout prix, elle vise plutôt la complémentarité. Selon elle, les genres ne sont pas interchangeables mais s’apportent chacun des qualités complémentaires, la diplomatie pour les uns, le courage et l’intelligence émotionnelle pour les autres.
La parité, qu’elle appelle de ses voeux, est pour elle une question de volonté. Celle de l’entreprise d’abord, comme c’est le cas au sein du Groupe Butagaz qui a par exemple atteint la parité (et même la majorité féminine) dans son Comex.
Mais la volonté doit aussi venir des candidates. Si la parité progresse dans des secteurs historiquement très masculins comme l'industrie et la finance, Florence remarque néanmoins demander des candidatures à parité féminines/masculines dans les shortlists. Une conséquence peut-être de l’opting-out, une tendance que l’on observe chez les femmes arrivées à des postes de top management et qui font le choix de partir, déçues par leur expérience à des postes de direction.
Les jeunes talents, masculins comme féminins, valorisent aujourd’hui plus l’équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle. Mais les femmes sont néanmoins plus nombreuses à réaliser que l’expérience du pouvoir n’est pas forcément celle à laquelle elles aspirent (ou que la promesse d’avoir le full-package n’est jamais vraiment tenue).
“Il faut se rendre compte ce que c'est d’accéder à des postes de direction. Enfin moi j'adore et je sais que je suis à ma place, mais c'est vrai que c'est aussi beaucoup de risques que l’on prend aussi. C'est beaucoup de stress positif, mais du stress quand même. Donc il y a des gens qui se retrouvent pas à l'aise avec ça.”
Cultiver la confiance
L’un des principaux symptômes de cette recherche d’équilibre entre pro et perso est la généralisation du télétravail. Pour de nombreux managers, dont fait partie Florence, la distance pose la question de la confiance. Comment faire pleinement confiance à des collaborateurs qu’on ne voit pas ? Si le covid a permis à beaucoup d’avoir un déclic, Florence reste persuadée que le remote n’est pas possible dans toutes les configurations, à commencer par l’onboarding des nouvelles recrues.
En montant dans la hiérarchie, on apprend aussi qu’on ne peut pas être partout. La confiance devient là encore une qualité à développer pour lâcher prise et arriver à déléguer. Elle se construit aussi de manière organique avec l’expérience (celle du travail réalisé ensemble) ainsi que la passion que l’on observe chez ses collaborateurs car on ne peut pas donner vraiment le meilleur de soi-même lorsque l’on n’est pas passionné (par son poste, son produit, etc.)
Pour finir, on doit aussi apprendre à se faire confiance, en particulier lorsque l’on attend de nous que l’on prenne des décisions qui auront un gros impact sur l’organisation. C’est le cas de Florence qui a dû donner son feu vert (ou au contraire son no go) dans des dossiers d’acquisitions ou des projets sensibles. Sans boule de cristal, elle a dû apprendre à faire confiance à ses intuitions.
“Encore une fois, j'ai quand même, je pense, un esprit hyper cartésien où justement je sais appréhender mon métier : ce qu'on va chercher comme valeur versus les risques, c'est mon métier de base. Mais il n'empêche qu’il m’arrive d’avoir des doutes et on n'est jamais 100 % confort. C’est là que joue l'intuition. Il faut se faire confiance, on peut jamais prendre une décision avec 100 % de certitudes.”.
Pour conclure, Florence nous rappelle que la confiance appelle la confiance. On ne peut donc ni confier des tâches à ses équipes, ni avoir confiance en ses propres décisions, si l’on a pas déjà la chance d'évoluer dans un environnement de confiance, c’est à dire si l’on n’est pas soutenus par ses équipes, sa direction, mais aussi ses proches !
L'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin S2Ep09 – Florence de Noray, VP Finance & M&A Europe Continentale pour DCC Energy et DG du Groupe Butagaz SAS : « Je suis plus pour l’équité que l’égalité. »
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