Pour cet épisode du podcast, on plonge dans le monde des affaires par un prisme nouveau, celui du droit. Notre guide : Sabrina Kemel, avocate en droit social, associée au sein du cabinet d'affaires FTMS. Concrètement, Sabrina accompagne les entreprises et les dirigeants dans le cadre de difficultés rencontrées dans leur quotidien RH.
Étudiante à l'Université Panthéon-Sorbonne, elle a rapidement compris que beaucoup de ses camarades étaient déjà entourés d'un bon réseau professionnel de par leurs liens familiaux. Elle a donc, dès l'entrée au barreau, cherché à construire le réseau qu’elle avait identifié comme essentiel à sa carrière d'avocat. Par la suite, Sabrina a fait de ses relations clients un atout pour son évolution professionnelle et s’est ainsi donné la liberté de casser certains codes professionnels internes pour faire sa place en toute simplicité.
Sabrina évolue dans le monde des affaires, un monde d'argent vis à vis duquel elle apprend encore aujourd'hui à se sentir légitime et dont les codes continuent parfois de la dépasser. Ensemble, on creuse ces sujets pour définir sa vision du pouvoir et les briques qu’elle a posées pour construire un environnement de confiance.
Le pouvoir comme la liberté d’être soi
Comme beaucoup de femmes qui sont passées dans ce podcast, Sabrina ne s’est jamais posé la question de définir le pouvoir. Elle considère en effet que sa propre carrière n’a pas été guidée par la recherche de pouvoir et réfute la conception qui voudrait que ce dernier soit lié à l’argent (celui que l’on gagne ou que l’on fait gagner à son entreprise/client).
Elle partage une visiondu pouvoir comme la liberté d’être soi, de se montrer telle que l’on est réellement et de ne pas avoir à se travestir au travail. Cela se traduit donc par le pouvoir de s’affranchir des codes de son milieu, en particulier lorsque celui-ci (comme c’est le cas du droit) est très codifié. C’est aussi le pouvoir de se libérer du regard des autres (sans s’y soustraire complètement puisqu’il nous permet aussi d’avancer).
Lorsque l’on est avocat, que l’on peut le montrer en mettant un macaron sur le pare-brise de sa voiture et en demandant à ce que l’on nous appelle par notre titre honorifique (“maitre”), il est pourtant difficile de ne pas associer le pouvoir à une certaine forme de domination.
“Au départ, ça me plaisait l'expression Maître, ça m'a plu quelques mois et puis très rapidement, je me suis dit mais non, attends, j'ai l'impression d'être au dessus de l'autre. Mais pourquoi ? Pourquoi m'appeler Maître ? Maintenant, quand mes clients m'appellent Maître, je les rectifie très rapidement et je leur demande de m'appeler par mon prénom. Et souvent les clients me répondent oui, merci, ça m'arrange. Mais tous les avocats ne nous le proposent pas. “
Accepter de demander de l’aide
Il est peut-être plus facile pour une femme de casser ces codes, de se détacher de cette vision surplombante de son pouvoir, car nous sommes régulièrement ramenées à notre condition de femme, ou à notre jeunesse.
Lorsqu’elle comprend (après plusieurs remarques misogynes qui ne lui sont pas directement adressées mais lui mettent quand même la puce à l’oreille) qu’un client veut traiter avec un homme, Sabrina a deux solutions.
Refuser d’accéder à sa demande car elle ne voit pas en quoi un homme serait plus compétent (la compétence n’étant pas genrée) ;
Accéder à la requête de son client en demandant de l’aide à un collaborateur masculin pour qu’il l’épaule sur ce dossier.
Le plus souvent, elle opte pour la seconde option, ne serait-ce que pour ne pas aliéner ou perdre le client. Mais d’une manière générale, et encore plus lorsque l’on est une femme, il ne faut pas avoir d’égo dans sa vie professionnelle. Le bon côté, c’est que déléguer ou se faire aider permet de monter en compétence. Cela rappelle aussi que la réussite, quelle qu’elle soit, n’est jamais individuelle mais collective.
Le pouvoir d’aider ses clients à sortir d’une impasse
Si elle gère ses dossiers du côté employeur (et non de celui des salariés), il n’en reste pas moins que le droit des affaires est souvent une affaire délicate. C’est particulièrement vrai pour les cas de harcèlement au travail, qui représentent aujourd’hui 8 cas sur 10 aux Prud’hommes. Lorsque l’on traite des procédures très lourdes, qui nuisent aussi bien à la santé physique que mentale des concernées, le rôle de l’avocat est de prendre de la hauteur.
Et cette prise de hauteur signifie le plus souvent de trouver une issue à l’amiable, non seulement pour éviter une condamnation à son client (l’employeur), mais aussi pour épargner au salarié en souffrance une procédure très longue et éprouvante.
C'est là le pouvoir de l’avocat : non pas exécuter la volonté de son client mais le conseiller et, dans le meilleur des cas, réussir à lui faire changer d’avis pour le sortir d’une impasse. D’autant plus qu’il n’y a rien de plus difficile que de défendre un dossier de principe, auquel on ne croit pas. Mais il faut aussi accepter qu’on ne peut pas tout négocier et que parfois, il ne nous reste pas d’autre choix que d’accompagner son client dans le sien.
Cela demande avant tout une capacité à s’intéresser aux autres et à cerner la personne que l’on a en face de soi. Une relation avocat/client, c’est comme une histoire d’amour : le plus grand risque que l’on court est de s’installer dans la relation et de penser qu’elle est acquise.
“Moi, je remets toujours en question ma relation client et quand je n'ai pas de nouveau dossier pendant un mois, je me dis qu'est ce qui se passe? Je parle avec les collaborateurs quand ils nous ont trouvé de nouveaux dossiers. Il faut toujours être alerte. Et puis c'est là aussi où il est important justement de ne pas être avec nos clients que sur une relation strictement professionnelle”;
L'importance du réseau
Avant de consolider la relation que l’on a tissée avec ses clients, encore faut-il les trouver. Et dans tous les secteurs, cela suppose de se construire un réseau. Une tâche plus dure qu’il n’y paraît quand on est pas du sérail, et qui demande surtout beaucoup de patience.
“Bon, alors, il va falloir que tu ailles vers les autres, que tu adoptes les codes parce qu'il y a des codes en fait, dans le métier d'avocat, dans les cabinets d'affaires, il y a des codes que moi je n'avais pas. Probablement d'ailleurs que je n'ai toujours pas.”
Pour se construire ce réseau de zéro, on peut assister à des évènements, se servir des réseaux sociaux pour contacter de potentiels partenaires ou clients. Mais dans tous les cas, cela se fait souvent sur plusieurs années, après plusieurs déjeuners d’affaires.
“Petit à petit, vous apprenez à connaître les gens. Et puis un jour, le dossier tombe. Ah Sabrina, vous m'aviez parlé il y a quelques années d'un dossier que vous avez eu à gérer vous-même. Est ce que vous pouvez nous aider ? Et puis après ce petit dossier, vous en avez un autre, et un autre, et un autre, et un autre. Jusqu'au jour où vous avez le plan de sauvegarde de l'emploi qui tombe.”
Le réseau, c’est aussi celui que forment les collaborateurs avec lesquels on travaille. La particularité d’un cabinet d’avocat, c’est que cette collaboration se fait sans lien hiérarchique. Le seul vrai patron, c’est le client. Il faut donc batailler pour préserver la liberté qui est celle des travailleurs indépendants, tout en répondant aux exigences du métier (et de la loi).
Là encore, s’entourer permet de réaliser que la réussite est toujours collective. Il faut donc apprendre à déléguer pour que ses collaborateurs montent en compétence. Mais aussi les mettre en lumière et accepter lorsque leur expertise dans un domaine dépasse la leur. Le tout sans se défausser complètement sur eux et en assumant sa responsabilité (de coordonner, de surveiller pour éviter les dépassements de délai, par exemple). Car le but ultime, c’est de créer un environnement de confiance, et de s’assurer que ses clients aient eux aussi une confiance totale en nos collaborateurs.
Croire en soi pour se créer un environnement de confiance
Quand on n'est pas issu de son milieu professionnel, il est difficile de ne pas se dire que l’intégrer est impossible.
“ Je me suis jamais dit que c'était impossible. Je me suis toujours dit tu veux le faire, bah tu fonces et puis on verra. Au pire, qu'est ce qui se passe ? Je tombe ? Et bien je me relèverais. Et puis c'est comme ça, on apprend de nos échecs.”
Et quand on y arrive, à force de persévérance oui, mais aussi grâce à l’aide et au soutien de ses proches, cela nous donne aussi une force et une légitimité incroyables. C’est le secret de Sabrina pour créer un environnement de confiance : commencer par avoir confiance en soi. Une confiance qui permet de tracer sa route et de ne pas laisser ce que l’on ne considère pas comme un obstacle en devenir un pour les autres (comme son désir d’enfants, par exemple).
‘Parce que je pense que j'ai réussi à acquérir, pas sur tout, mais une confiance en moi et à me dire que s'il y a une difficulté, si ça pose problème à quelqu'un, bah je traverse et puis je trouverai du boulot ailleurs. Peut-être que je serais moins bien payée et alors ?”
L’argent, le dernier tabou des femmes de pouvoir ?
Cela nous amène au dernier sujet que nous avons abordé avec Sabrina dans nos échanges. Celui de l’argent qui suppose une certaine forme de pouvoir dans le secteur de l’avocature dans lequel on progresse aussi de par sa capacité à ramener de nouveaux clients (et donc à faire gagner de l’argent à son cabinet).
Comme beaucoup de femmes, Sabrina se pose beaucoup plus de questions sur l’argent que les hommes. La facturation reste encore une épreuve pour elle et elle n’arrive par exemple toujours pas à appliquer son taux horaire.
“En fait, ce qui me pose difficulté, c'est de me dire à chaque fois sur une facture : est ce que je ne facture pas trop ? Alors que quand je vais montrer ça à l'un de mes associés, il va me dire mais il y a aucune question à se poser”.
Encore une fois, même si ces doutes peuvent être un frein à l’évolution d’une carrière (et l’obtention d’une augmentation par exemple), ils permettent aussi d’avoir une relation plus éthique et transparente à l’argent. Le tout, c’est de trouver un juste équilibre pour que ces questions légitimes ne deviennent pas des obstacles intérieurs et ne nous fassent pas culpabiliser de prendre un vol en business quand précisément, nous voyageons pour affaires !
Toute l'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin S2Ep4 – Sabrina Kemel, Avocate associée de FTMS – « Je ne vois pas pourquoi un homme serait mieux. »
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