avec Fanny Martin-Born
Trouver sa place et se sentir légitime peut sembler plus facile lorsque l’on a débuté sa carrière professionnelle directement à un poste de direction. Mais en réalité, c’est un parcours tortueux et une ascension progressive, quelle que soit notre position.
Ce fut aussi (et est encore) le cas de Fanny Martin-Born, qui a occupé des fonctions de direction depuis 2007 dans le secteur hospitalier et médical, majoritairement dans les ressources humaines. Elle est d’ailleurs aujourd’hui DRH de la Fondation Oeuvre Croix Saint Simon.
Dans ce premier épisode du podcast Le Pouvoir au Féminin, elle nous partage son parcours, sa découverte du féminisme avec la maternité, la violence des rumeurs ou encore les difficultés à être pleinement soi dans un secteur encore très masculin.
De la figure de la sorcière à celle la mémère
Parce qu’elle a commencé sa carrière à un poste de direction, ou qu’elle a eu “la chance” d’avoir un mari qui la soutenu à la naissance de leur premier enfant, Fanny a longtemps pensé que le fait qu’elle soit une femme n’était pas une contrainte. Mais c’est justement lorsqu’elle a pris son congé maternité qu’elle découvre que ce qui est une normalité pour elle est loin de l’être pour la grande majorité des femmes.
Elle s’ouvre ainsi au féminisme et s’intéresse tout particulièrement au concept de la sorcière, tel qu’il est défini dans le livre d’Isabelle Sorente.
“Elle définit le complexe de la sorcière comme du ce qui va du léger soupçon au sentiment d'illégitimité. Ca a été une prise de conscience très tardive pour moi de ce que ça représente d'être une femme, en termes de contraintes, en termes de représentation dans la société. Et c'est vrai que j'ai eu envie de partager ça, parce que j'ai très longtemps pensé que ça n'existait pas, que les femmes n'avaient pas une position différente dans la société que les hommes.”
Si sa maternité ne l’affecte pas directement dans sa carrière, elle la pousse à se poser des questions. Le congé maternité en particulier peut nous donner l’impression de perdre une partie de notre identité, de n’avoir aucune prise sur sa vie, sans compter la peur de ne pas réussir à reconquérir la zone d’influence que l’on a mis temps d’énergie à construire.
Le retour de la maternité est aussi compliqué, en particulier lorsque nos supérieurs n’intègrent pas ce changement et demandent la même charge de travail qu’avant. A celles qui font comprendre qu’elles n’ont pas autant de bande passante, et qui refusent de finir après une certaine heure pour passer plus de temps avec leurs enfants, on peut souvent faire ressentir, sur le ton de la plaisanterie, qu’elle a changé de statut pour devenir la “mémère au foyer”.
Comment s’assumer et être soi au travail ?
Lorsque l’on est une femme, et encore plus dans un milieu d’hommes (on peut aussi ajouter le fait d’avoir un poste de direction sans être experte dans son secteur, ici la santé), s’assumer demande du temps et de la patience. Cela implique beaucoup de travail et que ce dernier soit reconnu par ses pairs. Mais cela exige aussi parfois d’être plus corvéable, plus malléable, dans l’espoir que ses efforts seront récompensés par un gain en légitimité par la suite.
“J'ai toujours énormément douté et j'ai toujours pensé que ce que je pensais était peu pertinent voire complètement stupide en passant par sans intérêt. C'est un de mes chefs à qui je parlais souvent à l'oreille en réunion qui m'a dit, “Mais, madame Martin, parlez, bon sang !” Ça m'a beaucoup aidée. Mais s’il ne me l’avait pas dit, je n’aurais peut-être jamais osé prendre la parole”.
Avec le temps et l’expérience, on prend aussi nos marques avec les fonctions de direction, et les compétences qu’elles exigent : une vision globale de la structure dans laquelle on travaille, la capacité à saisir les enjeux stratégiques, des idées claires et une pensée pragmatique pour résoudre les problèmes quand ils se présentent.
La prise de parole, comme le montre l’expérience de Fanny, est aussi beaucoup plus facile quand elle est accompagnée. Elle nécessite qu’un vrai travail d’intégration soit fait pour apprendre aux femmes (mais aussi aux hommes) comment se positionner. Les role model, ou le simple fait d’observer ses pairs (la manière dont ils réagissent face à des situations complexes par exemple), permet aussi de gagner en assurance. Et finalement de trouver une façon d’exprimer notre pouvoir qui nous est propre.
Gérer la crise et les rumeurs au travail
Affirmer sa place, et sa légitimité à l’occuper, reste néanmoins un travail constant, et un édifice souvent fragile. Fanny s’en rend par exemple compte lorsqu’elle doit traverser une crise de gouvernance durant laquelle, pour déstabiliser la direction, elle est la cible de rumeurs selon lesquelles elle aurait une relation intime avec son supérieur. C’est un coup d’autant plus dur que, connaissant les risques auxquels s’exposent les femmes dans le monde du travail, elle a toujours veillé à se poser des limites (en sortant rarement avec ses collègues et en évitant de trop boire lorsqu’elle le fait).
Une stratégie de décrédibilisation qui la touche de plein fouet et met en doute non seulement sa légitimité professionnelle, mais aussi ses qualités humaines (la probité, l’éthique). Comme souvent dans ce type de situation, son responsable est beaucoup moins déstabilisé par la rumeur dont il est lui aussi l’objet.
S’il ne prend même pas la peine de démentir, Fanny fera son maximum pour accompagner le retour à la normale et dissiper la crise. Une fois que ce sera chose faite, elle choisira néanmoins de quitter son poste.
Trouver le courage de se libérer des injonctions
Toute la complexité dans le fait de trouver sa place en entreprise lorsque l’on est une femme est que l’on fait souvent l’objet de doubles injonctions… Des injonctions qui sont en plus contradictoires. Les femmes qui partent plus tôt pour s’occuper de leurs enfants sont pointées du doigt. Mais à l’inverse, celles qui comme Fanny reviennent rapidement au travail et y dédient une grande partie de leur temps sont mal vues et jugées (au travail comme dans leur sphère intime) comme de mauvaises mères.
Pour casser ces doubles standards (qui ne touchent pas autant les hommes), il serait déjà intéressant de faire baisser la moyenne d’âge dans les CoDir. Ou tout du moins que les personnes qui n’ont pas (ou plus) de contraintes horaires liées à la parentalité adaptent leur façon de travailler aux parents de jeunes enfants. Il faut aussi trouver le courage d’affirmer ses positions, et son rythme de travail, le courage d’affronter les regards culpabilisants.
“Quand on a un poste de direction, on doit pouvoir être autonome. Il y a beaucoup de contraintes, mais je pense qu'elles doivent, pour être compensées par le fait qu'on peut aussi, quand c'est possible, organiser son travail de la façon qui nous convient. Et je pense que cette façon qui nous convient, il faut qu'on ait le courage de se l'approprier et de se dire ça c'est ok parce que de toute façon, le job je le fais”.
Mais se libérer des injonctions demandent aussi de pouvoir déléguer une partie de la logistique parentale (garde des enfants, ménages). Une liberté de déléguer qui coûte cher, en particulier aux femmes, alors même que l’égalité salariale est loin d’être atteinte dans la majorité des secteurs et que, lorsqu’elle l’est, les femmes sont nettement moins à l’aise pour négocier leur rémunération.
Le management et la sororité pour s’affranchir du sentiment d’illégitimité
Gagner en légitimité n’est pas un processus qui se fait seule. Ce sont bien souvent les autres qui nous aident à nous sentir plus compétents, plus sûres de nous. Pour permettre aux femmes de prendre leur place, il faudrait donc mettre en place un management plus bienveillant, une culture du feedback constructif.
Mais pour faire changer les choses, il faut aussi apprendre à se serrer les coudes, et ne plus voir les autres femmes comme de potentielles rivales. Pour Fanny, si la sororité n’est pas encore la norme en entreprise, elle est la solution pour bousculer le statu quo.
“Je pense que les hommes n'ont techniquement aucun intérêt à les faire changer puisque si on regarde les statistiques aujourd'hui, la plupart des femmes assurent soit la logistique elles-mêmes, soit l'organisation des travaux ménagers, etc. Donc eux n’ont aucun intérêt à ce que ça change, alors que nous, on a tout intérêt à ce que ça change.”
Comme beaucoup d’invitées qui sont passées par le podcast, Fanny appelle également de ses vœux une éducation moins genrée des enfants, afin d’en finir avec les pensées limitantes qui touchent, même si c’est d’une façon différente, les garçons comme les filles.
Aux nouvelles générations de directrices, Fanny souhaite ainsi qu’elles trouvent leur place sans avoir à questionner sans cesse leurs choix de vie ni s’imposer une charge mentale encore plus grande que celle qui leur incombe déjà. Elle invite par contre les générations de futurs directeurs à s’en poser plus, des questions. Des questions sur eux-mêmes (ce qu’ils désirent vraiment), mais aussi sur la façon dont ils peuvent participer à faire changer les choses.
Toute l'interview est à écouter sur le podcast Le Pouvoir au Féminin Ep.1 – « J’ai très longtemps pensé que les femmes n’avaient pas une position différente dans la société que les hommes. »
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